J’ai mal, très mal… C’est à se taper la tête contre le mur et personne ne comprend que je souffre. La tête me tourne. Je me mords la main pour essayer de mettre fin à cette douleur. Précipitation, stress… On m’a allongée dans une voiture avec des inconnus qui me parlent et je ne comprends rien. Me voilà maintenant dans un couloir depuis des heures. Il y a trop de lumière, ça me fait mal à la tête. Je sens le stress autour de moi. Je souffre mais personne ne vient me voir. Où est ma mère, la seule qui sache me comprendre ? Une dame arrive avec une piqûre. Si l’aiguille me perce le corps, est-ce que je vais exploser comme un ballon ? Je hurle et me débats pour qu’elle ne me touche pas. On me manipule à un endroit que je sais fragile, sauf qu’eux ne le savent pas. J’ai mal. Je tente de me mordre encore la main mais je n’ai plus aucune sensation. Est-ce que mon bras a disparu ? Pour le savoir, je l’enfonce encore plus profondément dans ma bouche. On m’en empêche, on me contient, et soudain, c’est le trou noir. Au réveil, je suis perdue. J’ai de nouvelles douleurs et plein de choses qui me gênent : c’est quoi ce truc dans ma gorge ? Tous ces tuyaux, ces fils, me gênent. Et le bruit insupportable de ces machines… C’est plus fort que moi, je vais tout arracher. Impossible : je suis attachée. Je suis hors de moi. Je hurle. Est-ce que quelqu’un viendra à mon secours ? Je ne connais pas cet endroit, ni les personnes qui s’agitent autour de moi : qu’est-il arrivé ? Que va-t-il se passer ? Où suis-je ? N’y a-t-il personne pour me protéger ? Et enfin pourquoi ai-je si mal ?
Et si vous étiez ?
Si vous étiez…
Si vous étiez…
un soignant ?
Je suis infirmier, aide-soignante ou chirurgien. Au fond du couloir des urgences, je vois arriver une certaine Lulu qui crie, qui hurle et qui me paraît très étrange. Probablement une personne handicapée ? A-t-elle mal ? Hurlant comme elle hurle, la main dans la bouche, c’est possible… À moins que ce ne soient la peur et l’incompréhension qui s’expriment… Ou simplement son handicap ? Je sens que ça va être compliqué… et que ça va prendre du temps alors que j’en manque cruellement. J’ai rarement pris en charge une personne aussi lourdement handicapée. Va-t-il falloir procéder comme pour un patient ordinaire ? Le problème c’est qu’elle ne semble pas savoir parler… Comment vais-je faire pour poser mon diagnostic ? J’aperçois une personne qui paraît très anxieuse à ses côtés. Peut-être ne favorise-t-elle pas le calme de cette jeune fille… C’est décidé, je vais aller à sa rencontre… Mais comment m’y prendre ?
Si vous étiez…
la maman
d’une personne handicapée ?
Lulu est mon enfant. Elle est handicapée avec un trouble sévère du développement intellectuel et des malformations. Elle ne parle pas. Pour qu’elle comprenne bien une situation, il faut prendre du temps pour lui expliquer. J’ai d’ailleurs réussi à créer des outils qui fonctionnent plutôt bien pour qu’elle comprenne et s’exprime. Depuis qu’elle est toute petite, je développe des trésors d’imagination pour la stimuler, l’aider à grandir, la rendre plus autonome… Autant dire que j’ai accumulé une expérience extrêmement dense sur ce qui peut fonctionner (ou pas) avec elle ! Je la représente la plupart du temps pour permettre aux autres de la comprendre et de s’adapter à elle. Bref, tout est réglé comme du papier à musique avec Lulu… Mais je viens d’apprendre qu’elle doit se faire opérer en urgence ! Tout cet équilibre si durement gagné vient d’être remis en question… Le temps que je la rejoigne à l’hôpital, comment les équipes qui ne connaissent pas ma fille vont-elles prendre en compte ses malformations, ses allergies à certains médicaments, ses comportements déroutants ? Arriveront-ils à comprendre qu’elle a mal alors qu’elle ne parle pas ? Sauront-ils repérer les signes d’un état de mal épileptique ? Lui expliquer la situation ? Quant à moi… je ne sais pas pour combien de temps je vais me retrouver à l’hôpital… Comment assurer une présence 24h/24h auprès de Lulu ? Comment concilier cette hospitalisation avec mon travail, avec mes autres enfants ? Je tente de m’organiser mais je sais que je vais être totalement accaparée par Lulu.
De telles situations paraissent improbables ! C’est pourtant ce qui pourrait se passer si une personne handicapée très dépendante et privée de tout moyen de communication arrivait à l’hôpital pour se faire opérer…